Les ateliers UNEJ en résumé
Les technologies numériques bouleversent la conception, la production et la gestion urbaines ainsi que nos manières d'habiter les villes. Les ateliers « Urbanités numériques en Jeux » (UNEJ) ont pour finalité de sensibiliser les élèves de certains collèges et lycées volontaires de l’Académie de Créteil à ces transformations (et notamment aux technologies de Building Information Modeling - BIM), afin qu’ils soient en capacité de comprendre les nouveaux milieux urbains « connectés » et de devenir des acteurs de la mutation en cours.
Les ateliers se déroulent sur le temps scolaire, sont animés par des enseignants volontaires ainsi que par des intervenants extérieurs (architectes, urbanistes, médiateurs Minetest, etc.) participant au projet. Ils s’appuient sur la pratique du jeu vidéo Minetest (version libre du jeu vidéo de construction très populaire Minecraft) pour modéliser :
◦ An 1 : des refontes d’espace dans l’établissement scolaire : cours de récréation, centre de documentation (CDI), espaces pédagogiques nouveaux (LABS Collèges)
◦ An 2 : des projets urbains dans le quartier de l’établissement.
◦ An 3 et 4 : des propositions de reconversion de certains éléments du village des Athlètes et du village des Médias, construits dans le cadre des jeux olympiques de 2024.
Une exposition des différents projets sera organisée à l’issue de la démarche. Certains projets modélisés par les élèves seront pris en compte dans les projets d’aménagement territoriaux.
Ces ateliers associent les collèges et lycées qui y participent à un programme de recherche contributive sur 4 ans, regroupant les architectes, urbanistes, designers, constructeurs, aménageurs, médiateurs professionnels de jeux vidéo et chercheurs qui ont conçu le projet et l’animent.
En permettant aux élèves d’adopter les technologies urbaines numériques via la pratique du jeu vidéo, UNEJ les met en capacité de participer à l’émergence des nouveaux métiers de la ville numérique. Il facilite l’appropriation de leur environnement et des évènements et projets urbains qui s’y déroulent. Il leur ouvre de nouveaux horizons professionnels et leur donne les moyens de devenir des citoyens actifs de leur ville.
Pour mener à bien ce projet dans leur établissement, les enseignants sont formés et accompagnés sur toute sa durée par l’IRI et ses partenaires. A la rentrée 2020-2021, des ateliers de formation et de suivi ont eu lieu, dans le cadre de la formation professionnelle proposée par le Rectorat et la DANE de Créteil. En 2021-2022, d’autres séances auront lieu, d’une part pour continuer à accompagner les enseignants déjà engagés dans le projet, d’autre part pour préparer ceux qui le rejoignent.
6 établissements de Seine-Saint-Denis se sont lancé dans le projet durant l’année scolaire 2020-2021. 5 nouveaux collèges le rejoignent en 2021-2022.
Du néolithique à la « smart city » : la ville façonnée par les évolutions techniques
Les évolutions techniques transforment en profondeur les modes de production, les organisations économiques et les systèmes sociaux. Ces transformations s’expriment spatialement à travers les mutations des paysages et des modes de vies urbains, constituant une série de révolutions urbaines, de l’apparition de la ville à l’ère néolithique aux « villes intelligentes » contemporaines.
Ainsi, les premiers villages apparaissent avec l’« industrie » néolithique (outillage en pierre) et le développement des techniques d’agriculture et d’élevage, qui conduisent à la sédentarisation des groupes humains. L’invention de l’écriture bouleverse l’organisation spatiale et institutionnelle de la cité grecque, centrée autour de l’Agora et du Bouleutérion, qui constituent les premières formes d’espace public. Au Moyen-Âge, la révolution énergétique (déploiement de moulins et développement de la mécanique) transforme les techniques de production et de construction, et réorganise radicalement la cité. Le bourg se structure autour du développement de corporations qui ordonnent les métiers et les secteurs de production. Au XIXème, l’industrialisation de la production (machinisme, intensification de la division du travail), le développement de la sidérurgie et des réseaux de transports et de télécommunication (voies ferrées, télégraphe) transforment les relations entre les villes (lieux de production et de consommation) et reconfigurent les morphogenèses urbaines (grands magasins, diffusion de la presse et de la « réclame », développement de l’urbanisme de type haussmannien). Le XXème siècle, caractérisé par l’industrie du pétrole et de l’automobile comme par les industries culturelles, fait à son tour émerger des spécificités : la charte d’Athènes traduit dans l’aménagement de la ville l’influence de l’organisation taylorisée de la production en segmentant les quartiers selon les activités, tandis que se développent les réseaux routiers et autoroutiers, les grandes surfaces, les centres commerciaux et les hypermarchés, ainsi que les réseaux hertziens de télédiffusion. Inscrites dans le processus de globalisation des échanges, ces évolutions conduisent à la constitution de villes globales occupant des fonctions stratégiques et organisant les flux à l'échelle mondiale, qui deviendront elles-mêmes des « villes néolibérales » organisées autour de sièges sociaux, de centres commerciaux et de parcs (les logements étant repoussés en périphérie).
Avec le développement des technologies numériques et des plateformes, nous assistons aujourd’hui à une nouvelle révolution industrielle, qui transforme à son tour les modes de production, les organisations économiques et les systèmes sociaux ainsi que la conception, la construction et la gestion de la ville. Le capitalisme numérique se caractérise par l’interconnexion permanente et planétaire des individus, dont les activités sont systémiquement tracées et traitées par le calcul des algorithmes, permettant aux géants du web de les contrôler et d’en extraire de la valeur. Cette économie des données s’exprime spatialement à travers ce que le marketing désigne sous le nom de « smart cities », terme qui contribue à masquer la soumission des territoires à des logiques extraterritoriales court-circuitant les autorités politiques locales et les pratiques des habitants.
Néanmoins, la révolution urbaine contemporaine ne se limite pas à ces modèles mais se caractérise par des mutations industrielles plus profondes, aux enjeux trop peu analysés:
. la digitalisation de tous les services, produits, objets et matériaux (smartphones, système GPS, capteurs, puces RFID, objets connectés, …) conduit toutes les infrastructures urbaines à devenir des outils de mémorisation, transformant la ville elle-même en un « espace augmenté » ;
. la programmation, la conception architecturale, la construction, la gestion des flux urbains se transforment à travers la robotisation et les technologies de modélisation, de simulation et de réalité virtuelle (technologies BIM) ;
. la production de marchandises pourrait tendre à se relocaliser à proximité des consommateurs, qui se voient confier les tâches de finition dans le cadre de FabLab, Tech shop ou autres entités de production reliées à des usines 4.0 massivement automatisées.
Ces transformations, qui se produisent dans le contexte d’une crise climatique et environnementale majeure, présentent le risque d’une machinisation de la ville (automatisation de la construction et de la gestion urbaine, segmentation et hyperspécialisation des tâches, « solutionnisme technologique ») et d’une standardisation des modes de vie urbains (captation des données et profilage des utilisateurs, exploitation des attentions et destruction des savoirs locaux, « souveraineté fonctionnelle » des plateformes), éliminant la diversité et les singularités des civilisations urbaines et la souveraineté politique des territoires.
Cependant, elles ouvrent aussi de nombreuses potentialités pour la constitution de nouvelles formes d’intelligences urbaines. Ce sont de telles potentialités que le projet UNEJ a pour but d’identifier et de développer avec les élèves.
Perspectives pour le développement d’un nouveau génie urbain et d’une nouvelle écologie urbaine
Les technologies numériques urbaines semblent ouvrir de nouvelles perspectives pour l’urbanité, entendue non seulement au sens de l’habitat, de l’architecture et de la construction, mais aussi des relations sociales (politesse, solidarité, civilité) :
. la digitalisation des infrastructures transforme la ville en support de mémoire collective et ouvre les perspectives d’un nouvel espace public digital où pourraient interagir et délibérer les habitants ;
. les technologies numériques ouvrent la possibilité de nouvelles formes de gestion urbaine contributives, à travers la mise en œuvre de plateformes de proximité et de réseaux sociaux locaux, permettant la délibération sur des règles de vie commune et soutenant la prise de décision collective ;
. la robotisation et l’automatisation des activités constructives pourraient libérer du temps pour l’invention de nouveaux métiers de l’habitat écologique, de la construction soutenable, du recyclage et du réemploi, de la contribution des habitants, … ;
. le mode de production des objets proposé par les FabLab pourrait ouvrir de nouvelles possibilités de relocalisation de la production ;
. les technologies BIM, en tant qu’elles autorisent un nouvel agencement entre différents corps de métiers, ouvrent de nouvelles possibilités pour articuler construction et urbanisme et pour y associer les habitants.
Ce sont donc de nouveaux savoirs de la ville (savoir-faire, savoir-vivre, savoirs technologiques, savoirs théoriques) qu’il s’agit de constituer, en favorisant les projets de recherche interdisciplinaires et d’expérimentations territoriales, et afin de constituer un nouveau « génie urbain » distribué sur le territoire.
Des ateliers avec les élèves pour construire les nouveaux savoirs de la ville numérique
Si l'objectif pédagogique est bien de permettre aux élèves de comprendre, de s'approprier et d'adopter les nouvelles technologies urbaines numériques, le défi de la reconversion du Village des Athlètes et du Village des Médias (VAM) motive et phase la démarche sur les trois ou quatre années qui précédent les Jeux olympiques de 2024.
Les VAM sont une prouesse en rapidité de construction et une vitrine des savoir-faire urbains des entreprises Françaises. Mais, en termes d'héritage, il s'agit également d'en réussir la reconversion, c'est-à-dire la transformation en de véritables quartiers de ville adaptés aux besoins, contraintes et enjeux des années 2030.
Dans cette perspective, les ateliers « Urbanités numériques en Jeux » associent les élèves à la modélisation, à la proposition et, pour certains projets, à la réalisation d'espaces dans une progression phasée qui part de l’environnement connu des élèves, leur établissement scolaire, pour aller vers leur quartier et s’achever dans des projets concernant certains espaces des Village des Athlètes et des Médias.
Le devenir des modélisations élaborées par les élèves sur Minetest et des données associées sera étudié dans l’objectif de mieux intégrer la dimension contributive des habitants, élèves et futurs usagers, dans l’ensemble des projets urbains.
Une exposition présentant les projets réalisés par les élèves sera réalisée en 2024. Elle permettra de mettre en lumière et en débat le regard des élèves sur leur espace de vie et leurs aspirations quant à l’urbanité. Les établissements pourront également, s’ils le souhaitent, organiser des expositions intermédiaires des travaux des élèves.
Mise en œuvre du projet dans les établissements
Les équipes d'enseignants et leur direction organisent librement la mise en œuvre du projet dans les établissements. Dans l’idéal, elle permet à un même groupe d’élèves de participer au projet sur 3 ou 4 ans et de développer au fil du temps des savoirs approfondis.
L’organisation prend des formes différentes selon les établissements : « classe à projet numérique » de la 6ème à la 3ème avec 2 heures d’atelier tous les 15 jours, projet interdisciplinaire mené sur les heures des disciplines, club interclasses, projet pris comme support de réalisation du chef d’œuvre dans les lycées professionnels, etc.
Au lancement du projet, les enseignants bénéficient d’une formation conçue et animée par l'IRI et ses partenaires, l’équipe des porteurs du projet aussi appelés Fabrique du projet. La formation se poursuit tout au long du projet, sous forme d’une journée trimestrielle de suivi technique et pédagogique, animée par la Fabrique du projet. L’ensemble de ces formations entrent dans le cadre de la formation professionnelle des enseignants organisée par l’Académie de Créteil.
Un jeu et un cadre technique adaptés
Le projet s’appuie sur la pratique par les élèves du jeu vidéo Minetest. Ce jeu diffère fortement des nombreux jeux vidéo de combat, dont les effets s’avèrent parfois délétères chez les jeunes. Appartenant au genre « bac-à-sable », il constitue une sorte de « jeu de Lego » numérique : les joueurs y bâtissent des constructions de leur choix, en empilant des blocs de taille standard, constitués d’une multitude de matériaux différents. Permettant de construire en toute liberté, Minetest stimule la créativité des élèves ; en faisant participer les joueurs à une construction commune, il favorise leur coopération et leur travail de groupe.
Minecraft, la version propriétaire du jeu, a déjà été utilisé par la ville de Rennes dans le projet Rennescraft comme support pour des ateliers de modélisation de la ville, animés par 3 Hit Combo, partenaire du projet « Urbanités numériques en jeux ». L'Organisation des Nations-Unies met également le jeu à la disposition de communautés d'habitants afin qu'elles modélisent certains équipements de leur quartier (projet ONU, Block by Block).
Configuré par l’IRI et ses partenaires selon un cadre technique adapté, Minetest constitue un double virtuel du territoire, qui permet aux élèves de s’approprier activement leur territoire et ses transformations technologiques, à travers un agencement entre réalité virtuelle et réalité géographique. Organisé sur plusieurs étages (ou couches), cet agencement permet aux élèves de se déplacer et de travailler à différents niveaux du territoire : établissement réel/reconstitution virtuelle/projets virtuels, quartier réel/projets virtuels, etc. Il donne également accès à une simulation du fonctionnement des nouvelles technologies urbaines numériques.
Formation / capacitation et accompagnement des enseignants par la Fabrique du projet
Une formation/capacitation initiale est élaborée et mise en œuvre par la Fabrique du projet. Elle se poursuit par un suivi technique et pédagogique trimestriel.
Ces ateliers réunissent les enseignants, des chercheurs de l’IRI, des architectes-urbanistes du cabinet O’zone Architectures et des architectes de l’association ICI! et selon les séances, d’autres partenaires du projet : Emilien Cristia, architecte spécialiste du BIM, des collaborateurs de la Solidéo, du Comité Départemental Olympique et Sportif du 93 (CDOS), de l’association de médiation par le jeu vidéo 3HC, de la Caisse des dépôts et consignations, etc.
Ces ateliers alternent des séances pratiques consacrées à la découverte du jeu Minetest et des technologies BIM, de séances de préparation des ateliers avec les élèves dans les classes et de séances théoriques, interrogeant les transformations de l’urbanité à l’époque de l’informatisation des villes. Au fil des séances théoriques sont notamment intervenus Dominique Bouiller, professeur de sociologie du numérique à Sciences Po, Pierre Veltz, ingénieur, sociologue et économiste français, Patrick Bouchain (équerre d’argent de l’urbanisme 2019) et Franck Cormerais, docteur en sciences de l'information et de la communication et en philosophie, Professeur à l'université Bordeaux 3 (laboratoire MICA).
Ces ateliers sont progressivement mis en ligne sur M@gister, plate-forme de formation en ligne de l’Académie de Créteil.
Les partenaires
L’Académie de Créteil
Elle participe à la conception et au pilotage du projet et l’accompagne dans les établissements scolaires, par la nomination d’un référent académique. Elle met à sa disposition des heures de formation pour les enseignants.
Le Conseil départemental du 93
Il participe à la conception et au pilotage du projet. Il soutient l’élaboration d’une plateforme documentant le projet.
Le Groupe Caisse des dépôts et consignations
Il soutient le projet. Présent dans le département de la Seine-Saint-Denis et engagé directement dans la construction d’une partie du Village des athlètes, il s’intéresse à l’Héritage des Jeux Olympiques et Paralympiques et aux dispositifs permettant d’y faire contribuer les habitants.
Le Cabinet Ozone Architectures
Ce cabinet d’urbanisme, qui intervient de manière importante dans le 93, participe à la conception, au pilotage et à la mise en œuvre du projet dans les établissements. Il s’est engagé depuis le départ dans le projet car développer de nouveaux dispositifs de contribution des habitants aux projets urbains lui semble un enjeu clef.
La Solidéo (Société de livraison des équipements olympiques)
Chargée de la livraison des ouvrages olympiques, la Solidéo soutient le projet en mettant à sa disposition certaines données numériques non confidentielles et en permettant les interventions de ses salarié(e)s dans les classes.
ICI ! (Initiatives construites Ilo-Dyonisiennes, architectes de quartier)
Cette association d’architectes est spécialisée dans la contribution des habitants et les interventions dans les établissements scolaires.
3 Hit Combo (association médiatrice du jeu vidéo)
Cette association, pionnière dans la pratique de Minecraft au service de la contribution des jeunes aux projets urbains ( avec les ateliers RennesCraft), a participé au développement technique du projet.
Le CDOS93 (Comité départemental olympique et sportif de Seine-Saint-Denis)
Cette association, qui réunit les associations sportives du département, participe à la conception, au pilotage et à la mise en œuvre du projet dans les établissements. Elle l’enrichit de ses savoirs dans le domaine de l’urbanisme sportif.
L’IGN (Institut national de l'information géographique et forestière)
Il mis à disposition du projet la carte numérique de la Seine-Saint-Denis.